La cantaora,  la bailaora, les percussions ou le choc des émotions
            Manuel De  Falla, L’Amour Sorcier
                Ballet-pantomine  pour orchestre de chambre et cantaora (1915)
            Salle des  fêtes des Echelles, jeudi 9 août 2007, 20h30
             
            Sabrina Romero, cantaora, chant et danse
                Karine Gonzalez, bailaora, danse
                Sylvain Lemêtre, percussions
            Julie Friez et Amaryllis Billet, violons
                Brice Duval, alto 
                Noémie Boutin, violoncelle
                Mathias Lopez, contrebasse 
                Clément Teriltzian, flûte
                François Sales, hautbois
                Olivier Voisin, cornet à pistons
                Emmanuel Bénèche, cor
                Jeanne Bleuse, piano
            Julien Bénéteau, direction 
             
            « Le  fantôme de son ancien amant revient hanter Cardela la gitane. Pour pouvoir  aimer librement Carmelo, elle trouve un moyen pour rompre le maléfice et  éloigner à jamais le revenant en détournant son attention vers une autre  femme ». Tel est l’argument de ce ballet-pantomine, qui aura été avant  tout un immense choc : le choc des cultures, interaction quelque peu  disparate, mais combien provocante et émouvante entre la musique classique et  le flamenco.
            La  cantaora Sabrina Romero, la bailaora Karine Gonzalez et le percussionniste  Sylvain Lemètre, ont porté à bout de bras, sans faille, avec un incroyable  talent, une impressionnante concentration et une présence fascinante, cette  œuvre typiquement espagnole, jouée dans sa version originale de 1915, version  rarement donnée, ce qui est tout à l’honneur du Festival des Nuits d’été.
            Sabrina  Romero, la cantaora, sobre dans sa longue robe noire, chanteuse et conteuse,  puis danseuse, elle aussi, à la voix rocailleuse, a été d’une expressivité  débordante d’émotion. Elle a su donner à son texte, magnifiquement interprété  –en espagnol – un ton grave et sans concession, qui nous  a profondément touché.
             
            
            Sabrina Romero
            Karine  Gonzalez, la bailaora, gitane amoureuse, héroïne de l’histoire, entrant tantôt  côté cour, tantôt côté jardin, de quelques claquements de doigts, quelques  frappements de mains et de talons, su annoncer ses apparitions différentes,  avec une progression visuelle et sonore d’une beauté attirante, savamment  calculée. Chacune des interventions, changement de robes appropriées, de la  noirceur mélancolique à la clarté retrouvée, du noir au blanc passant par le  rouge et le jaune, nous plongeant dans cette danse infernale, flamenco sans  cesse renouvelé, alliant le mouvement du corps aux rythmes décalés, du talon  frappé aux claquements de doigts et de mains, progressant de la suave douceur  trompeuse à la violence passionnelle de l’amour transcendé, nous ont figé dans  une contemplation admirative, sans concession. 
             
            
            Karine Gonzalez
            Le  talent des deux artistes a été accompagné, souligné et magnifié par les  percussions de Sylvain Lemêtre. Calme, attentif et concentré, il a su faire  usage de ses instruments, avec une technique éblouissante, jouant sur la  palette des nuances les plus subtiles, exprimant avec intelligence les pas et  gestes de ses prestigieuses partenaires. Déjà remarqué dans « Le Sacre du  Printemps », Sylvain Lemêtre est un grand percussionniste : un grand  maître .  Tous trois ont formé un  tout. Trois en un, ils ont remporté le triomphe mérité.
             
            
            Sylvain Lemêtre
            Ces  merveilleux artistes étaient « accompagnés », le mot peu paraître  inexact,  disons plutôt qu’ils  s’exprimaient avec la complicité de l’Orchestre du Festival, crée pour  l’occasion, composé de musiciens de grands talents formant une belle  homogénéité, magnifique et bouleversant dans les forte, notamment le  superbe  final, mais manquant tout de même  de contrastes appuyés pour cette musique lumineuse qui en réclament à  profusion, les pianissimi étant étrangement absents. Leur chef, Julien  Bénéteau, a battu correctement la mesure, assurant les départs en excellent  solfègiste, mais manquant singulièrement de passion et de chaleur communicatives,  qui auraient d’un coup, mis à l’unisson, solistes et musiciens. C’est un peu  notre regret, même si cela n’enlève rien à cette superbe interprétation qui  restera dans nos mémoires comme un merveilleux enchantement.
            En  première partie, Noémie Boutin et Michaël Ertzscheid ont interprété les  « Six Chants populaires » pour violoncelle et piano, du même  compositeur.
            Noémie  Boutin est une jeune et talentueuse violoncelliste, jouant avant tout sur  l’émotion et la sensibilité, avec une sonorité diversifiée dont elle sait  admirablement maîtriser toutes les facettes. Elle a joué ces très belles pièces  avec délicatesse, humour et gravité, oubliant sa technique parfaite, pour  laisser court à  sa belle musicalité.  Elle a joué pratiquement par cœur, les yeux fermés, laissant paraître sur son  visage le ressenti qu’elle aurait dû dissimuler, pour laisser au public le  bonheur d’apprécier son talent, seulement par l’intermédiaire de son  instrument. Noémie Boutin est une  grande  artiste, il est dommage qu’elle nous le dise avec tant d’insistance.  
            
            Noémie Boutin
            Elle  était accompagnée, le mot est exact, par Michaël Ertzscheid, pianiste peu  engagé. Il s’est contenté de suivre et soutenir sa partenaire et surtout de na  pas la gêner. Il est vrai que le piano droit, mis à sa disposition, lui offrait  peu de possibilités. Mais quand même, il aurait pu s’exprimer davantage.  Dommage
             
            
            Michaël Ertzscheid
            C’était  mon dernier concert du Festival des Nuits d’été. Je voudrais souligner et  insister sur les trois concerts auxquels j’ai assisté (voir critique par  ailleurs). De jeunes artistes talentueux, un programme novateur et osé sortant  totalement des sentiers battus, un public nombreux, fidèle et enthousiaste et  enfin une organisation tout à fait remarquable.   Au risque de me répéter, il me semble que lorsque l’on croit à ce qu’on  entreprend, lorsque qu’on s’en donne les moyens matériels et financiers,  lorsque l’on engage des artistes de qualités, 
              irréprochables,  professionnels forcément, et jeunes de surcroît, lorsqu’on a de la volonté et  du courage dans l’innovation et devant les inévitables multiples difficultés,  la musique classique renaît de ses cendres, se fait connaître, apprécier et  réclamer.
            Souhaitons  que le Festival des Nuits d’été donne des idées à ceux qui, depuis longtemps,  ont baissé les bras et abandonné sur le bord du chemin les nombreux mélomanes  insatisfaits qui sont aujourd’hui, privés injustement de leur art : la  musique classique. Mais attention ! ils vont peut-être bien se réveiller.  Alors, nous verrons…
             
            